[LIVRE] The Mathematics of Poker

mars, 3, 2011
Sylvain

Aujourd’hui je vais vous parler d’un livre qui n’est pas tout à fait un livre d’informatique théorique ou de maths, et pas tout à fait un livre de poker. Il s’agit du livre The Mathematics of Poker par Bill Chen et Jerrod Ankenman.La plupart des gens pensent que le poker est un jeu de hasard et surtout de chance, la plupart des autres personnes pensent que le poker est un jeu qui combine les probabilités élémentaires et la vision des joueurs (« on ne joue pas les cartes, on jour les gens »). Mais à la lecture de ce livre, vous découvrirez qu’un modélisation mathématique rigoureuse du jeu de poker donne une nouvelle compréhension aux mécanismes sous-jacents à ce jeu très à la mode.

Il faut noter que les chercheurs en apprentissage (branche de l’IA, pas de la pédagogie) et en algorithmique se penchent aussi sur le problème. Mais ici il s’agit d’un livre qui bénéficie d’un double éclairage : algorithmique et opérationnel (avec une vision proche de celle que l’on voit en gestion des risques financiers). En effet, autant certains chercheurs s’intéressent au poker, autant peu de joueurs de poker s’intéressent aux mécanismes mathématiques cachés derrière leur hobby (et je parle de vrai maths, pas de compter le nombre de mains possibles, le ratio du pot et les outs).

Les auteurs de ce livre sont à la croisée des deux mondes. Bill Chen est avant tout un analyste financier (un quant comme on dit dans le jargon), mais c’est aussi un docteur en mathématiques appliqués (1999, Berkeley) et un joueur de poker de très bon niveau (2 bracelets WSOP, plus d’un million de dollars de gains en tournoi). Jerrod Ankenman est aussi un ancien quant devenu joueur pro, il a obtenu son premier bracelet en 2009, et à (je crois) repris des études à Yale depuis peu. Nous avons donc ici deux personnes qui sont à la fois dans le milieu du poker, et dans celui de la modélisation mathématique de processus complexes et incertains.

La lecture de ce livre n’est pas aisée : le livre est touffu et fait appel à des notions d’algèbre et de statistiques que la plupart des gens ont oublié (ou qu’ils n’ont jamais appris). Il ne faut pas hésiter à morceler sa lecture, et surtout à lire le livre avec un bloc et un stylo à portée de main. Par ailleurs, même si les aspects mathématiques vous dépassent ou vous indifférent, il ne faut pas hésiter car le plus important n’est pas le calcul qui est fait à chaque étape du livre, mais bien les conclusions annoncées par les auteurs. La valeur ajoutée principale est celle là : donner à réfléchir sur la manière de jouer, et surtout sur la manière de ne pas jouer.

Le livre contient les choses suivantes. Tout d’abord la première partie explique au lecteur néophyte les rudiments des probas et stats (espérance, variance, approche bayésienne et estimation des paramètres). Ensuite, la notion de stratégie optimale en poker est analysée en détail. La stratégie optimale, c’est la méthode de jeu imbattable quoi qu’il arrive, c’est bien sur ce qui ne se passe pas lors d’une partie de poker, mais connaitre ce que sont les caractéristiques de la stratégie optimale, c’est un plus. Et surtout, savoir que l’on est loin de la stratégie optimale c’est un encore plus gros plus car cela permet d’éviter de grossières erreurs. La partie II du livre est d’ailleurs entièrement consacré à l’exploitation des failles chez l’adversaire : reconnaitre lorsqu’il dévie fortement de la stratégie optimale pour lui piquer son pognon ! Le reste du livre est consacré à la gestion du risque, de la bankroll et de la gestion de partie. En lisant les parties II et III, vous apprendrez à vous mettre dans des positions qui éviteront que vous vous fassiez rincer par vos adversaires, et c’est déjà beaucoup. En fait, ce que l’on peut retenir du livre c’est qu’on peut bien jouer au poker sans jouer ses adversaires, ce qui change de la pensée majoritaire.

Au final, je vous conseille la lecture de ce livre qui est une sorte d’ovni dans la littérature consacrée au poker. Sa lecture vous donnera certes une vision mathématisé du poker, mais surtout vous fera réfléchir sur le jeu, et sur votre jeu. Pour le dire plus simplement, il ne s’agit pas d’un livre de tactique du poker, mais d’un livre sur la stratégie au poker. Ceci étant, il s’agit d’un livre ardu qui n’est pas pour les novices du poker, et qui n’est pas pour les allergiques aux maths.

5 Responses to “[LIVRE] The Mathematics of Poker”

Très intéressant. D’ailleurs il me semble que le poker est enseigné dans certains MBA et qu’on trouve de plus en plus d’analogies avec les stratégie d’entreprise. Le seul point qui m’amuse est que pour gagner un tournoi, WSOP ou entre amis, il est impensable d’arriver au bout sans avoir été confronté à de nombreuses reprises à un coinflip (50/50)…Avoir des algos plein la tête doit être un plus mais pas du tout un gage de réussite…

Ebooks, 11 mars 2011 à 16:52

@Ebooks
Tu es quand même dans l’erreur si tu penses qu’il faut plus de chance que de compétence pour faire des performances en tournois. Après je suis d’accord qu’il faut une certaine dose de chance pour gagner un tournois ; ou en tout les cas finir dans les places intéressantes.

La réalité est qu’un 50/50 ou un 60/40 perdu quand tu as un tapis conséquent (3 ou 4 fois celui de ton adversaire direct) ce n’est rien ; c’est pareil quand tu fais 30 ou 40 tournois par ans. Les très bons joueurs de tournois vont faire un ITM (In The Money) environs 20 à 25 % du temps et une très grosse performance environs 5 à 8 % des ITM.

La vision mathématique te permet d’établir un plan de jeu « macro » et de comprendre certains concepts cruciaux du poker.

Quelques concepts importants : Crunch, Bulles, ICM, Range de main, STPR, le M factor introduit par Harrington etc.

Sinon le fait que le poker serve hors des tables est indéniable 😉 Gestion des masses, lecture des gens, risque management etc.

Jean-Michel, 16 mars 2011 à 18:36

Intéressant, je l’ajoute à ma liste de lecture.
Sinon, juste une remarque concernant la conclusion sur l’influence des adversaires sur son jeu. À mon avis, elle a une importance uniquement lorsqu’on joue régulièrement les mêmes adversaires et sur des systèmes de jeu avec peu de joueurs (donc uniquement en jouant entre amis, entre habitués d’un cercle ou à la fin d’un grand tournoi). Il est parfois intéressant de dévier de sa stratégie « optimale » afin d’encourager son adversaire à commettre une erreur. Mais ce n’est que mon avis.

Johan, 4 mai 2011 à 19:15

Je rejoins Johan, le metagame n’est vraiment pas négligeable même sur du muti-tabling online. Mais il est vrai que ce metagame se traduit souvent par les chiffres de ton tracker ou que tu as accumulé dans ta tête (si tu ne joues pas 20 tables). Donc finalement, tout est chiffres !

Julien, 22 novembre 2011 à 8:45

A noter que ce livre paraitra en avril 2013 aux editions Fantaisium, en francais.

FMontmirel, 8 novembre 2012 à 12:42
Picture: courtesy of Abby Blank