La rémunération des traders (2/3)

février, 4, 2010
Sylvain

Justification du mode de rémunération des traders à l’aide du bonus

A la lecture des chiffres que je donne dans le post précédent, la question naturelle que chacun est en droit de se poser est celle de la légitimité d’une telle rémunération. Selon Godechot, 2008, cette notion de bonus prend ses sources dans la perte d’espoir pour les salariés des sociétés de bourse de devenir partner (et donc d’obtenir un intéressement), mais aussi dans la compétitivité du marché. Par ailleurs, il semble que la justification qui consiste à dire que les salaires des traders sont hauts car ces derniers possèdent une qualification supérieure est totalement fausse (Meunier, 2007). Dans cette problématique de la justification de la rémunération, il faut probablement considérer séparément le problème des montants importants que touchent les traders de celui du mode de rémunération lui-même. Cette séparation se justifiant pleinement par le simple fait que les risques que l’on mentionnera dans la section suivante sont uniquement dus à la notion de bonus, tandis que le seul méfait du montant élevé des rémunérations est sans doute de ternir l’image du secteur bancaire auprès de la population.

Je commence donc par expliquer l’utilisation des bonus comme mode de rémunération. En France, c’est l’imitation du modèle anglo-saxon qui a poussé le secteur bancaire à introduire les bonus (De Benchemam, 2008). Le but étant alors d’éviter que la main d’oeuvre très spécialisée et mobile que constitue les traders ne parte à l’étranger (Godechot, 2006). La solution la plus simple pour cela est  d’introduire un mode de rémunération variable, compétitif et basé sur le profit (pour s’assurer de la rentabilité du processus). Encore maintenant, la menace de mobilité permet de négocier de fortes augmentations de bonus (voir Godechot, 2006, qui contient un exemple de deux traders qui menacent de partir de leur société en emmenant leur équipe, et qui ont obtenu une forte augmentation de leur bonus). Enfin, on notera que l’utilisation des bonus comme mode de rémunération semble permettre aux petites sociétés de bourse d’être compétitives à l’embauche face aux plus grosses puisque le salaire est proportionnel aux P&L, qui dépendent avant tout du talent des traders (ce qui n’est pas tout à fait vrai puisque l’enveloppe disponible pour les prises de position à également une grande importance).

Tentons maintenant d’expliquer le montant élevé touché par les traders. Meunier, 2007,  donne comme première piste d’explication « l’effet Pavarotti » (du nom du chanteur lyrique) : dans le secteur des marchés financiers, un trader marginalement meilleur qu’un autre doit recevoir une rémunération proportionnellement plus forte. Par suite, étant donné que le nombre de trader est réduit sur une place de marché donnée, la compétition entre sociétés de bourses provoque une spirale de hausse des rémunérations. On peut cependant opposer à cet argument le fait qu’un nouvel établissement pourrait recruter et former ses propres traders pour un coût moindre. Une deuxième piste d’explication est donnée par Godechot, 2006. Il s’agit du contrôle de la rente par les salariés : si un trader s’en va, qui plus est avec une partie de son équipe, le coût de remplacement est très lourd (un trader devient rentable après une phase d’appropriation du contexte du marché, de l’entreprise, etc.). Godechot, 2006, fait une analogie, précisée par Meunier, 2007, avec le pirate qui peut faire perdre à son capitaine tout le trésor en communiquant l’emplacement de la cachette, alors qu’il ne contribue que marginalement au montant dudit trésor. Pour se couvrir, le chef des pirates doit donc rémunérer plus fortement les pirates. C’est le modèle dit « du hold-up », qui explique selon ces deux auteurs le montant des bonus.

Prochain post : les risques associés à ce type de rémunération.

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